J'ai 55 ans, mais cela peut changer d'une année sur l'autre.
Par contre, ce dont je suis sûr, c'est qu'à l'âge de 7 ans, je suis tombé dans un bouillon de ces vermicelles noirs qu'on appelle les livres.
Et depuis, je passe ma vie entre leur lignes. N'aimant pas vraiment la réalité, ma seule et vraie jubilation est d'écrire, et d'écrire dans des styles différents. Tout me fait ventre : poésie, comptines, romans policiers, fantastiques, biographies, anthologies, pièces de théâtres, scénarios de BD, de films
et même lettre d'amour
Ne me racontez jamais votre vie : je risquerais d'en faire un bouquin !
Michel Piquemal |
On ne fait pas de littérature sans casser les pieds
J'ai commencé à écrire dans les années 75. J'étais alors instituteur et je ne supportais plus les lectures " niaiseuses " qui encombraient les manuels scolaires et les livres jeunesses.
Je trouvais qu'on n'y respectait pas l'enfant, qu'on ne prenait pas en compte son humour, son appétit de vie, son impertinence
et surtout qu'on sous-estimait sa capacité à entendre parler des vrais problèmes de la vie. Dans mon idée, on devait pouvoir parler de tout avec un enfant
Il n'y a pas de sujet tabou (pas plus social que sexuel).
Heureusement, les Roal Dahl, Pierre Gripari, Pef et autres Bichonnier pointaient déjà le bout de leur nez, faisant souffler un délicieux vent frais sur les anciennes " lectures édifiantes " pour la jeunesse. Et j'ai pris le train en marche de cette littérature " dite pour enfants " des années 80 qui déchiffrait joyeusement le roman policier (avec Joseph Périgot et ses Souris Noires), les réalités sociales (collection Les Uns les Autres et J'accuse chez Syros) sans hésiter à porter au grand jour les multiples douleurs de l'enfance avec finesse et pudeur (Thierry Lenain, Alain Serres, Nadine Brun Cosme, Hélène Montardre
).
Nous pouvons, je crois, être fier de notre littérature jeunesse qui n'a pas froid aux yeux et " ne prend pas l'enfant pour une bille ". Dans la plupart des pays d'Europe, l'absence de laïcité fait que tout ce
qui touche à la jeunesse reste encore sous la coupe des curés de tous poils, avec la censure bien-pensante que l'on devine. Mais restons vigilants car les années Mitterrand ont vu renaître chez nous une tendance politiquement-correcte qui a fait bien des dégâts d'autocensure .
Cette liberté de fait nous a en tout cas permis d'écrire sur des sujets aussi divers que les enfants des rues d'Amérique latine, la mort d'un être proche, le divorce, l'inceste, la manipulation publicitaire, la guerre
non pas pour faire le catalogue des problèmes de ce monde, mais tout simplement parce que tout ce qui touche à la vie nous touche et mérite d'être débattu. Les enfants ont un sens extrêmement poussé de l'injustice. Et lorsque nous les rencontrons sur les salons, dans les écoles et les bibliothèques, les débats qui s'amorcent sur ces sujets se révèlent aussi passionnants que fructueux.
Certes ,ce n'est pas une classe de CM2 qui va régler d'un coup de baguette magique la situation des enfants des rues à Bogota ou de Rio de Janeiro, mais il est bon qu'ils sachent dans quel monde géopolitique ils vivent. Sans oublier que beaucoup des problèmes que rencontrent les enfants aujourd'hui sont souvent le fait des enfants eux-même : violence, racket, racisme, mise à l'écart, moqueries
Grâce au livre, on peut aborder ensemble ces sujets et faire avancer (certes modestement, mais faire avancer !) les mentalités et les conduites.
Cet engagement humaniste d'auteur, j'ai eu, en 93, l'envie de le poursuivre dans une aventure éditoriale. J'avais alors "été choqué par la méconnaissance de nos racines culturelles et spirituelles. Je voyais dans les écoles des petits " beurs " qui n'avait jamais entendu parler du Coran, des " baptisés catholiques " qui pensaient que Pâques était la fête des ufs et des adolescents pour qui Mai 68 était un rassemblement de gugus fumant des pétards avec des fleurs dans les cheveux. Dans mon idée, on ne peut réellement avancer dans la vie qu'en connaissant ce qui nous enracine comme ce qui fait l'enracinement de ceux qui nous entourent.
J'ai donc créé chez Albin Michel une collection qui donne à lire les grands textes clés de " l'aventure humaine (les Carnets de Sagesse).
Des petits livres faciles à lire permettant d'aborder la spiritualité chrétienne, bouddhiste, musulmane ou juive
mais aussi (car les religions ne sont pas toute la spiritualité !) la pensée laïque, maçonnique, humaniste ou écologiste
Etre éditeur (comme être auteur) ne peut pas être une neutralité. C'est autant une responsabilité qu'un engagement. Et ma sensibilité laïque et libertaire se retrouve de fait au cur des livres que j'édite. Devant le succès des Carnets de Sagesse, cette collection a ensuite été complétée d'une série d'anthologie pour adolescents sur des thèmes-clés comme la Révolte, la fraternité, la Paresse, le Non Violence
(puis par douze Carnets de Philosophie avec André Comte-Sponville à la barre).
Faire découvrir pour la première fois à un adolescent la puissance et l'énergie d'auteurs comme
Walt Whitman, Nazim Gibran est un vrai bonheur. J'ai l'impression (grâce à mon appétit boulimique de lecture) de pouvoir tendre un relais à de nouvelles générations
relais de plaisir, de compréhension du monde, mais aussi de dynamite pour se défendre contre ceux qui continuent encore et toujours à crier comme les soldats de Franco " A mort l'intelligence "
et vive le journal de 20 heures
Michel Piquemal |